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La psychiatrie et la psychanalyse vues par Jean-Louis Chassaing  

Jean-Louis Chassaing, psychiatre et psychanalyste, auteur de "Psychanalyse et Psychiatrie" (Erès), a répondu aux questions du "Journal des Femmes".

Comment vous est venue l'envie de devenir psychiatre ?
J'ai fait médecine un peu au hasard pour continuer mes études avec mes amis d'enfance. En fait, j'étais plus attiré par les activités artistiques. Je m'étais inscrit, parallèlement à la faculté de médecine, dans une école d'architecture et je faisais un peu de photos de mode. Au début, je voulais être médecin généraliste, mais je trouvais que le corps était abordé de façon trop technique, trop découpé. J'étais plus attiré par le côté littéraire et philosophique de la médecine. Alors, au bout de la cinquième année, je me suis spécialisé en psychiatrie.

Pourquoi avez-vous choisi de devenir psychanalyste en plus de psychiatre ?
La psychanalyse a une dimension plus littéraire et aussi plus pratique. J'ai longtemps travaillé auprès des toxicomanes, et un jour, face à un toxicomane avec qui j'avais des liens très forts, je me suis rendu compte que ma formation de médecin ne suffisait pas. Il faut utiliser la parole et le langage pour aider les gens. J'ai alors fait une analyse et j'ai suivi une formation de psychanalyste.

Vous êtes plutôt en faveur d'une thérapie par la parole ou avec des médicaments ?
Bien que les médecins psychiatres prescrivent des médicaments, leurs clients sont avant tout des gens qui parlent, des gens qui ont besoin d'être orientés dans leurs propos. A nous d'établir le diagnostic, de savoir ce que demande le patient et de proposer soit des médicaments, soit une psychothérapie, soit une psychanalyse.

Quel est votre type de clientèle ?
J'ai une phrase qui ne plaisait pas trop à mon chef de service au CHU de Clermont-Ferrand : "on a la clientèle que l'on mérite". Du fait que je me suis longtemps occupé des toxicomanes, je soigne beaucoup d'adolescents et de jeunes adultes présentant des pathologies limites, c'est-à-dire entre la névrose et la psychose. J'ai pratiqué pendant vingt ans à l'hôpital de Clermont-Ferrand où il y avait une clientèle plus socialement défavorisée présentant des pathologies graves. Depuis 1996, j'exerce dans un cabinet libéral et je vois des personnes de toutes conditions, qui ont toutes sortes de demandes.

Quels sont les principales demandes de vos clients ? Celles-ci ont-elles évolué ?
Les gens sont de plus en plus exigeants. Ils sont désorientés dans leur vie et dans leurs pensées, certains ressentent un perpétuel sentiment d'insatisfaction par rapport à des promesses non tenues. On utilise pour décrire ses symptômes le mot un peu trop général de "dépression". Quand ils arrivent, ils disent qu'ils vont mal mais ils ne savent pas pourquoi. Le psychanalyste, au cour de l'entretien préliminaire, doit les aider à se poser les bonnes questions.

Comment expliquez-vous que de plus en plus de personnes consultent un psy ?
L'empreinte du social est de plus en plus forte sur le psychisme. Aujourd'hui, tout est ouvert, il y a une multiplicité d'influences, on a perdu nos anciens repères -la famille nucléaire, la religion, les institutions fortes- basés sur le modèle patriarcal. On veut jouir à tout prix, il y a une demande forte et incessante qui tue le désir. Chez les toxicomanes, le seul point d'arrêt, c'est la mort. La société ne peut pas continuer longtemps dans ce modèle anarchique. Dans les cycles politiques définis par Platon, après l'anarchie, c'est le retour de la tyrannie. Vous avez vu les dernières élections...

Quel est l'idée de votre livre "Psychanalyse et Psychiatrie" ?
En fait, il s'agit d'actes remaniés d'un colloque de la Fondation européenne pour la psychanalyse. D'un côté, la psychanalyse est complexée de ne pas être assez scientifique. De l'autre, la psychiatrie se désintéresse trop du sujet. La psychanalyse ne répond pas directement à la demande, elle laisse venir le désir qui est un peu la vérité du sujet. La psychiatrie s'est "scientifisée" en oubliant le côté littéraire et philosophique de la question et notamment en oubliant la question du sujet. Elle se meurt parce qu'elle est trop technicisée, administrée, avec des conférences de consensus. La psychiatrie est un exercice au cas par cas et là on est en train de créer des grilles d'analyse qui enferment les patients et les médecins.

A ce sujet, que pensez-vous de l'amendement que vient de voter l'Assemblée en vue de réglementer les professions des soins psychiques ?
Toutes les écoles de psychanalystes ont lutté contre cet amendement. Il ne peut pas exister un statut de psychothérapeute. On peut définir des psychothérapies, ça oui, mais l'analyse, la thérapie par la parole, le transfert, ne peuvent pas être réglementés administrativement. Je le répète, c'est du cas par cas.

Cet amendement vise surtout à éviter les dérives, car n'importe qui peut mettre une plaque de psychothérapeute…
Il existe des Ecoles, à chacune de faire le ménage dans sa propre institution et définir ses propres critères. Qui de mieux qualifié qu'elles pour décider des formations des psychothérapeutes. En plus, un diplôme ne garantit rien, il existe des dérives dans tous les milieux, chez les avocats, les médecins… Selon moi, la psychanalyse n'est pas une thérapie, c'est-à-dire que ce n'est pas une obligation de soin exigée par l'administration. C'est une association libre, une liberté de parole… et là on veut l'enfermer dans des définitions administratives.

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Propos recueillis par Emilie Godineau

 
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