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Jean-Charles de Castelbajac : "Shakespeare et Snoopy, cela me correspond bien !"

Styliste, designer, illustrateur, écrivain : Jean-Charles de Castelbajac est un touche-à-tout de la création. A l'occasion de la sortie de son livre Eneco, le créateur décrypte son univers.
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Vous venez de publier votre premier ouvrage, un conte fantastique baptisé "Eneco". Quelle est la part d'autobiographie dans cette oeuvre ?
Jean-Charles de Castelbajac : L'écriture d'Eneco était une étape très importante pour moi. Le livre a été décrit comme un conte autobiographique par mon éditeur mais pour moi, il a surtout été l'occasion de transcender mon imaginaire. Je voulais faire ce bouquin pour une génération qui n'arrive pas à aller au bout de ses rêves, en quête de modèle. Je voulais lui montrer qu'à l'image d'Eneco, le rêve relève toujours du possible. Il y a évidemment des points communs, indispensables à l'écriture, entre Eneco et moi : Eneco évolue dans l'univers déjanté qui habitait mes rêves, il est entouré de femmes, pour lesquelles il éprouve une réelle fascination, etc.

Vous avez également illustré Eneco. Etait-ce pour vous aussi important que l'écriture ?
Non, à l'origine, je ne voulais pas l'illustrer. Puis un jour, un copain écrivain m'a demandé de dessiner le personnage d'Eneco, de dévoiler son univers. Je l'ai fait, puis j'ai croqué Spad, son chien aveugle et j'ai fini par me dire qu'il serait bien d'illustrer le livre intégralement. J'ai toujours fait des croquis, j'adore les images, de la bande dessinée à la tapisserie de Bayeux. Seul Tintin me pose problème : il ne tombe jamais amoureux. Or, je trouve que toute histoire doit être bercée de romantisme et de sensualité.
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Vous avez été à la une avec une retrospective londonienne "Popaganda". Vous vous êtes fait un nom en détournant les matières...
J'ai commencé à recycler les matières dès l'enfance, sans doute pour sublimer les choses humbles, faire un manifeste à partir de quelque chose d'anodin. J'ai reçu une éducation très stricte, mes permiers actes de création sont donc passés par la récupération, le détournement.
Quand j'en suis venu à la mode, la récupération m'est venue naturellement. J'ai toujours été attiré par les vêtements qui avaient une histoire, de travailleurs : la blouse du coiffeur qui nous coupait les cheveux en pension militaire, le vêtement de boucher, etc. Ils avaient quelque chose d'authentique qui se prêtait bien au processus de réinvention.

Mais pourquoi opter pour la récupération plutôt que créer à partir de matières nobles par exemple ?
Au début des années 80, les salons spécialisés étaient très en vogue. L'on s'y rendait pour choisir les matières qu'on utiliserait pour sa collection. Cette démarche ne m'intéressait pas. Je me retrouvais plus dans les premières oeuvres d'Arte Povera (ndlr : un mouvement artistique basant la création sur des matières dites "pauvres" telles le bois, le vêtement usé, etc.). Dès 1982, la tendance a été à l'unicité. C'est à cette époque que j'ai travaillé le camouflage, pour créer des modèles toujours uniques.

Vos créations ont toujours été bercées dans un univers enfantin...
J'ai toujours suivi le précepte de Cervantès "garde toujours en toi l'enfant que tu as été". Aujourd'hui, je le revois en déclinant pour enfants, les créations Peter Pan que j'avais intialement faites pour les adultes. J'en suis ravi : quel enfant n'a pas rêvé de porter un tee-shirt avec une tête de mort de pirate ?

Mais pourquoi ne pas vous être engagé plus tôt dans la création pour enfants ?
Je n'aime pas trop l'idée des créer des pièces pour enfants qui ressembleraient à mes vêtements pour adultes. Ce qui m'intéresse, c'est d'apporter un peu du monde adulte dans l'enfance, de leur forger une armure tout comme il m'a paru important d'apporter une touche d'enfance dans l'univers des adultes. C'est mon syndrôme de Peter Pan. C'est aussi pour cela que la proposition de collaboration de la marque Okaïdi m'a paru intéressante.

Vous avez su vous entourer de grands artistes, comme Andy Warhol. Pour vous, la mode et l'art vont-ils toujours de paire ?
Quand j'ai commencé à intégrer les oeuvres d'artistes à mes collections en 1982, j'étais à la limite d'être sifflé. A l'époque, la relation entre la mode et l'art était une alliance dangereuse. Aujourd'hui, l'idée n'a pas vieilli, elle est même dans les gènes de notre époque. Il n'y a qu'à voir les artistes adoubés par les magazines féminins. On aime aussi cette aventure qui perdure entre la mode et le rock. Pourtant quand je vois certains créateurs travailler avec la musique, l'initiative me semble tardive. Je l'avais déjà fait notamment avec le groupe Téléphone, qui était venu jouer à l'un de mes défilés. D'ailleurs, Louis Bertignac m'a encore récemment rappelé qu'il n'avait jamais été aussi mal payé...

En 2004, votre maison a été rachetée par le groupe britannique Marchpole. Que cela a-t-il changé pour vous ?
Cela a tout changé : Marchpole est devenu actionnaire majoritaire de la maison et je suis moi-même entré dans le capital du groupe. Castelbajac fait maintenant partie d'un groupe de dimension internationale. C'est une renaissance, je n'ai aucune nostalgie du passé. Je travaille aux côtés d'une équipe dynamique, très réactive, très jeune. J'ai pu mettre en oeuvre un projet avec les 3 Suisses inspiré de mes premières lignes avec des produits très Rock' n' Love, je continue de travailler le sport avec Rossignol et le Coq Sportif. En parallèle, j'ai le sentiment d'avoir compris quelque chose avec l'écriture d'Eneco, j'ai aussi écrit une chanson pour l'album de Mareva (ndlr : Galanter, sa compagne). Tous ces projets se recoupent.

Pourquoi consacrer une si grande partie de vos créations au sport ?
Je fais des articles de sport depuis toujours ! Je trouve qu'il n'y a pas de terrain plus révélateur de l'exaltation de la liberté et de la beauté que le sport. C'est cette même démarche qui a donné naissance à mes créations avec Farah Fawcett dans les années 70 : il s'agissait de donner naissance à des joggings ou des doudounes taille XXS pour exacerber la féminité. Ma prochaine collection sport sera dans le même esprit : très féminine et sexy. Sa fonction sera de séduire, car l'on peut séduire même par le sport.

Vous avez travaillé sur des projets très différents, créant notamment la chasuble de Jean-Paul II aux JMJ de 1997. Comment choisissez-vous vos projets ?
Le projet des JMJ (Journées Mondiales de la Jeunesse) est une rencontre entre le travail et la foi. A l'époque, je travaillais bénévolement avec un prêtre de la prison de Fresnes. Monseigneur Lustiger l'a su et cela s'est fait comme ça, à son initiative. C'était une vraie leçon de chose. Quand j'ai vu le pape dans sa chasuble, mais aussi un million de jeunes dans les tee-shirts que j'avais confectionnés, j'ai compris qu'il était possible de faire des modèles uniques et démocratiques à la fois, pour toutes les occasions. Dans ma carrière, ce qui me plaît le plus est d'accompagner la jeune génération, de participer à leur "sprezzatura", leur révélation. C'est pour cela que j'ai aussi accepté d'enseigner à Vienne.

Vous en êtes à près de 40 ans de carrière. Laquelle de vos créations vous rend le plus fier ?
Si on lie la création à un acte, je pense que la chasuble du pape est la plus grande expérience de ma vie. C'est une création qui m'échappe, un rêve absolu. En mode, il y a eu la robe au carré, faite avec Robert Malaval, appelée "Robe Fantôme". Je retiens aussi mon premier pull Snoopy qui s'appelait "to be or not to be" : Shakespeare et Snoopy, cela me correspond bien. Il y a aussi le poncho deux places, qui était le premier vêtement pour deux et que j'ai repensé avec un zip, en cas de divorce.

Aujourd'hui que vous reste-t-il à faire ?
J'ai 56 ans et il me reste encore tout à faire ! J'ai toujours eu des pulsions très Rock'n'Roll mais je me rends compte aujourd'hui que Dieu est dans le détail. Je dois encore peaufiner les concepts, travailler les détails, les surpiqûres. Je recherche aussi l'accessible. Si je pouvais retravailler avec Keith Haring, je n'opterais plus pour un modèle unique, je ferais plutôt 10 000 tee-shirts. Aujourd'hui, j'aime propager, j'aime créer pour le système global, je ne veux plus être dans la résistance.

En savoir plus
Le site de Jean-Charles de Castelbajac : www.jc-de-castelbajac.com
Le concept store : 10, rue de Vauvilliers 75001 Paris
Tel : 01 55 34 10 25

Dossier réalisé par Véronique Deiller
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