Dossier
29/09/2006
Franck Sorbier : "Le rôle des créateurs est d'apporter de la beauté"
La couture, était-ce un rêve d'enfant ? Franck Sorbier Oui et non. Il y a eu des périodes où j'en avais très envie et d'autres moins. Mais, à l'âge de 16 - 17 ans, j'ai eu une véritable révélation en voyant une publicité de Serge Lutens qui était à l'époque le directeur artistique du maquillage Dior. Elle représentait une femme avec des partitions de musique sur la tête. Pour moi, il y avait une véritable création artistique. J'ai su alors que ce que je voulais faire, c'était créer moi aussi et surtout de réaliser des vêtements de mes mains.
L'important était de rester dans l'univers du spectacle. J'avais créé des costumes pour l'opéra La Traviata ainsi que pour Mylène Farmer et Johnny Hallyday. J'aime tout cet univers un peu ludique, théâtral. Et dans la conjoncture actuelle, qui est plutôt difficile, je n'ai pas voulu faire quelque chose de sérieux. Il faut s'extraire de cette morosité. Notre rôle est d'apporter de la beauté. Nous sommes un peu des enchanteurs de vie. Justement, quelles sont vos sources d'inspiration ? La photographie notamment Pour ma dernière collection, je n'avais pas pensé au thème du cirque. Je voulais faire quelque chose de guerrier. Et puis, j'ai trouvé une photo célèbre de Richard Avedon qui s'appelle "Dovima with the elephants" qui a été prise en 1955 au Cirque d'Hiver. J'ai eu un déclic en voyant l'éléphant. Et puis après, ce fut un enchaînement de choses et d'idées et notamment celle de la similitude entre le cirque et notre métier. D'un côté, il y a énormément de préparation et de prouesses techniques en amont du défilé et du spectacle et de l'autre, il y a cette idée d'émerveillement du public que ces deux métiers recherchent. Comment qualifieriez-vous votre style ?On dit qu'il est poétique. Pourtant, j'ai une idée de la femme plutôt classique. J'ai envie de mettre son corps en valeur et non pas de bousculer les formes. Je recherche la féminité mais avec un regard doux, sans agressivité. Vous avez réalisé des costumes pour Mylène Farmer, pour Johnny Hallyday et en même temps vous créez des modèles haute couture. Avez-vous la même démarche ?L'idée pour ces costumes était de faire de la couture pour le spectacle. La démarche à la base n'est pas la même car pour le spectacle, on s'attache au visuel et non pas au détail. Pour autant, je considère le détail comme étant très important. De plus, lorsque je crée une collection, je fais ce que je veux. Or, dans le cas des costumes de scène, il faut coller à la personnalité et aux goûts de ces artistes, tout en ne se reniant pas bien sûr ! Avec Mylène, j'ai travaillé 4 mois et j'ai réalisé les costumes pour toute se troupe. Au total : 280 tenues ont été créées. Avec Johnny, ce fut plus court : 5 semaines. C'est un travail très enrichissant et intéressant dans lequel on rencontre beaucoup de monde. Et puis, on est là pour participer à une aventure, à une histoire. A l'heure où les couturiers se diversifient (design, déco ), pourquoi vous cantonnez-vous aux costumes et aux uniformes ?Tout simplement parce que l'on ne m'a pas fait de propositions ! Ce qui m'intéresse c'est de toucher à tout. Par exemple, j'ai créé les uniformes des hôtesses de la marque de Cadillac pour le Mondial de l'automobile. J'ai aussi réalisé des costumes de la Traviata mise en scène par Henri Jean Servat.
Oui tout à fait car c'est amusant. En 2003, j'ai collaboré avec la marque de chaussures André. Et lors de mon défilé haute couture, les mannequins portaient des souliers Franck Sorbier pour André. Je trouve ça bien de m.er même si certaines personnes n'ont pas trop apprécié. D'ailleurs, les femmes n'hésitent plus à mixer les styles, les marques De plus, travailler avec une griffe grand public permet de toucher à un public beaucoup plus large et cela me plaît. En 1987, il y avait 24 maisons de haute couture, en 2006 il n'y en a plus que 10. Comment expliquez-vous ce phénomène ?La conjoncture est dure, c'est pourquoi, de nombreuses maisons disparaissent. Celles qui perdurent, ce sont celles qui sont soutenues par des gros groupes, qui ont des codes forts et/ou un créateur star. Il faut savoir aussi, qu'il y a de moins en moins de premières mains (couturières qualifiées) et de clientes. Aujourd'hui, les femmes qui s'habillent en couture le font pour certaines occasions alors qu'avant c'était tout le temps. Et vous, comment faites-vous pour continuer à faire partie de ce cercle prestigieux ?Nous avons une structure légère et des sponsors comme Cartier, Samsung qui nous épaulent. Notre activité de création de costumes et d'uniformes n'est pas non plus négligeable. Enfin, si nos collections doivent faire rêver, elles doivent aussi être portables. C'est pourquoi, nous faisons aussi beaucoup de robes de mariée. Quel avenir voyez-vous pour la haute couture ?Elle va devoir se modifier. Pierre Bergé a dit qu'elle était morte. D'après moi, elle ne l'est pas, c'est juste qu'elle ne pourra plus être comme avant, qu'elle va devoir s'adapter, évoluer. Quels sont vos projets ?Je vais réaliser des uniformes pour un lieu prestigieux de restauration et puis me remettre sur la prochaine collection de haute couture. J'aimerais bien aussi créer un parfum Quel b.faites-vous de vos 20 ans de métier ?Un b.plutôt positif ! Je fais moi-même des pièces même si j'en fais de moins en moins car j'ai d'autres obligations. Je me sens plus artisan que star de la haute couture. Cela prend du temps de devenir grand. C'est une question de conjoncture mais aussi de tempérament. Je suis quelqu'un de très indépendant. Il y a des jeux auxquels je n'ai pas joué. Peut-être que si j'y avais joué, je serais aller plus vite. Parfois, le prêt-à-porter me manque mais je n'en referai que si j'ai les moyens de faire quelque chose de bien. Et puis, il faut dire que la haute couture continue à fasciner que vous soyez une grande maison ou une petite alors que dans le prêt-à-porter, il y tellement de monde Je suis donc satisfait de ce que j'ai fait jusqu'à présent. Il faut juste tenir le coup. Mais une personne m'a dit que j'étais condamné à réussir, alors ?.. Est-on couturier toute sa vie ? Je crois que oui. Le jour où j'ai découvert la machine à coudre de ma grand-mère, j'ai su que ça me plairait. Je pense que ça serait dur de décrocher. En même temps, je me dis parfois que d'autres choses seraient intéressantes à faire comme peindre, par exemple. Mais on me dit que je suis fait pour ça. Le destin est certainement un peu tracé
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Dossier réalisé par Caroline Feufeu
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