Saga
18/05/2007
Madeleine Vionnet : 100 ans d'avant-garde
Karl Lagerfeld avoue, en novembre 1995, que "tout le monde, qu'il le veuille ou non, est influencé par Vionnet". Et à Jean-Paul Gaultier de renchérir : "Madeleine Vionnet a symbolisé l'apogée de la haute couture"... Admirée par ses contemporains, adulée en son temps, Madeleine Vionnet a été, avant Coco Chanel, l'instigatrice d'une couture révolutionnaire. Une femme, une artisane Madeleine Vionnet fait ses premiers pas dans la couture alors qu'elle n'a que 12 ans. En 1887, elle intègre en tant qu'apprentie une maison de couture locale avant de devenir première d'atelier, 6 ans plus tard, dans la célèbre maison Vincent. Mariée à 18 ans, elle ne suit pas pour autant la voie de petite artisane qui aurait pu être la sienne.
A l'aube du 20e siècle, elle s'émancipe et part pour l'Angleterre. En intégrant la maison de Kate Reilly, elle apprend le tailoring à l'anglaise et se passionne pour la voluptueuse Isadora Duncan, danseuse américaine qui lui inspire notamment ses premiers travaux de drapé. De retour à Paris en 1900, elle poursuit son chemin successivement dans les ateliers des surs Callot et de Doucet. Là encore, Madeleine Vionnet dénote : "le corset, c'est une chose orthopédique",.e-t-elle en favorisant des robes souples, proches du corps, totalement révolutionnaires pour leur époque. En 1912, à l'ouverture de sa maison au 222, rue de Rivoli à Paris, Madeleine Vionnet a donc déjà donné son ton : femme libérée, artisane de génie, elle sait aussi bien manier l'aiguille que révolutionner les codes de son époque. Une femme, une couturière révolutionnaire Dès l'ouverture de sa maison, Madeleine Vionnet remet la mode de son époque en question. De sa longue expérience de petite main et de chef d'atelier, elle garde une expertise hors norme. Le tissu, la coupe, le tombé des modèles : rien ne lui échappe.
La couturière surprend d'ailleurs par sa technique : loin des croquis de collection, elle privilégie la création en trois dimensions, travai. les tissus à même un modèle réduit de bois. Cette approche novatrice - que certains ont comparé à la démarche des artistes cubistes - est d'ailleurs revendiqué par la maîtresse de maison : "le couturier se doit d'être un géomètre du corps humain, de réaliser des figures géométriques auxquelles le tissu doit correspondre". Pour autant, Madeleine Vionnet n'en oublie pas son sujet : la femme. Dès ses débuts, la couturière veut sortir la femme de son carcan, la mettre à l'aise tout en la sublimant. Elle applique ainsi à la haute couture les techniques de réalisation de la lingerie, s'inspire de la Grèce Antique, arrive, à l'apogée de son art, à défaire ses modèles de toutes leurs coutures. En résulte des créations uniques : la coupe en biais, le cou de capot, la robe mouchoir restent aujourd'hui encore des références pour les plus grands noms de la couture.
Sa capacité à révolutionner la mode, Madeleine Vionnet la puise aussi dans sa capacité à s'entourer des artisans les plus talentueux de son époque. Les broderies de Lesage, les souliers de Massaro, les fragrances de Coty, les verreries de Lalique dans un salon de couture exceptionnel : de la création à l'accueil de ses clientes, la maison Vionnet ne fait aucun compromis. Une femme, une dirigeante Plus qu'un génie de la couture, Madeleine Vionnet a également bâti sa réputation sur sa faculté à diriger son entreprise. A son apogée, la maison Vionnet regroupe une trentaine d'ateliers, emploie près de 1 200 couturières, crée 300 modèles et vend quelque 200 000 pièces par an. Un record aujourd'hui encore inégalé dans le domaine de la haute couture ! A la tête d'un véritable empire, elle n'en oublie pas pour autant ses employées. A une époque où la protection du salarié n'est pas de mise, Madeleine Vionnet offre des congés, crée une crèche, des consultations médicales.
Ph.hrope mais prévoyante, Madeleine Vionnet sait aussi protéger les intérêts de sa société. Face à l'engouement que suscitent ses créations, la couturière est amplement plagiée. Consacrée par la justice comme l'unique créatrice de la coupe en biais, Madeleine Vionnet décide pourtant de se prémunir contre toute forme de contrefaçon. Elle crée ainsi en 1923 "l'Association pour la Défense des Arts Plastiques et Appliqués ", premier organisme de lutte contre la copie. Toujours pionnière, Madeleine Vionnet met aussi en uvre une méthode d'identification imparable de ses modèles. Dès les années 1920, chaque robe est estampillée de la griffe de la maison mais également d'un numéro de série et d'une empreinte digitale de la maîtresse de maison.
En avance sur son temps, Madeleine Vionnet l'est aussi dans la diversification de ses produits et le développement de son empire de couture. En 1925, elle.e ses premiers parfums - sobrement baptisés A, B, C et D - en collaboration avec la maison Coty. Un an plus tard, elle est la première à se tourner vers les Etats-Unis, en adaptant sa haute couture en une première ligne de prêt-à-porter. Et comme à l'accoutumée, le succès ne se fait pas attendre. En 1932, la maison Vionnet peut ainsi ouvrir ses prestigieux locaux au 50 de l'avenue Montaigne. Les petites mains de la maison Vionnet ne pourront pourtant bénéficier de ces infrastructures que quelques années. En 1939, à l'aube de la Seconde Guerre Mondiale, Madeleine Vionnet décide de cesser ses activités. La maison est donc mise en liquidation à l'acmé de son succès. La couturière Madeleine Vionnet, quant à elle, ne s'éteindra que 35 ans plus tard, à l'âge de 98 ans. L'après-Madeleine Suite à la fermeture de ses portes, la maison Vionnet reste en sommeil pendant près de 60 ans. Si la famille Lummen, riches ph.hropes, rachètent le nom Vionnet pour en protéger le patrimoine, ce n'est que 7 ans plus tard que la maison rouvre ses portes, s'insta. pour l'occasion au 21, place Vendôme. Un parfum d'abord, puis une ligne d'accessoires, les débuts se font en douceur. Il faut alors attendre presque 10 ans pour que la maison se r.e dans la couture, par pudeur ou par respect de son héritage, peut-être... Sofia Kokosalaki, jeune créatrice grecque dans la fleur de son art, prend les rênes de la création maison pendant deux ans avant de céder la place à Marc Aubidet, designer spécialiste du stretch, ancien collaborateur de Trussardi et d'Hermès. La page est belle et bien tournée, Madeleine Vionnet revit. Voir aussi Les créations En savoir plus Le site de la maison Vionnet : www.vionnet.com
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