Interview 07/12/2007 Stéphanie Coudert : "Je veux fuir l'idée d'un vêtement jetable"
Pouvez-vous revenir sur vos débuts ?
J'ai commencé ma carrière après avoir gagné un prix de Festival de Hyères en 1999 pour une collection que j'avais réalisée aux Arts Déco. Je pense qu'on m'a davantage donné un prix pour mon travail de recherche sur les volumes plus que pour le côté commercial de la ligne. A partir de ce moment, tout s'est enchaîné. Je me suis retrouvée au Salon Who's Next avec une douzaine de clients. Ce qui était très bien pour un début Mais malheureusement, à l'époque, je n'avais pas du tout pensé à l'outil de production. J'ai réalisé les commandes seule dans mon atelier pendant trois ou quatre saisons et je me suis littéralement épuisée. A côté de cela, je continuais de créer pour le théâtre et des expositions. C'était un moment palpitant, éreintant, qui, au final, ne m'a pas permis de bâtir durablement mon entreprise. Les Arts Déco n'est-ce pas une voie un peu atypique pour quelqu'un qui se lance dans la couture ? J'avais commencé par un BTS de style à l'atelier Duperré. Je crois que quand on est créatif, on choisit une voie où l'on est reconnu au fur et à mesure, dans laquelle on peut s'exprimer le plus. Moi, j'avais beaucoup de choses à dire sur le corps et je me suis donc naturellement retrouvée dans le vêtement. J'ai commencé par faire des installations en rapport avec la danse, que j'ai eu l'occasion de présenter à la Fondation Cartier et au Printemps de la Danse de Toulouse. Ce côté mise en scène, performance, c'est une voie que j'aurais vraiment aimé développer. Aujourd'hui, qu'est-ce qui a évolué ? Pour relancer ma société, j'ai construit un partenariat avec un industriel et un spécialiste du redressement d'entreprise et de la production d'accessoires. J'assure le côté créatif et je suis appuyée par un gérant et un fabricant. Je peux avoir la garantie des commandes et une certaine sécurité. C'est un grand bond en avant car c'est la première collection que j'arrive à structurer, à rendre cohérente. J'ai l'impression de commencer réellement ma carrière maintenant. De toute manière, quand on est créateur, on se remet en permanence en question Comment vous positionnez-vous sur le marché du prêt-à-porter français ?
Nous sommes sur du "haut de gamme" car je ne voulais pas renoncer à la fabrication française de mes produits. Je me suis toujours positionnée sur un créneau "couture de jour" et j'ai très envie de continuer dans cette voie. Je veux fuir l'idée d'un vêtement jetable, contrairement à tous les arguments commerciaux du moment. Il faut vivre avec son époque et je comprends que l'on ait envie de changer sa garde-robe. Mais, je me dis qu'un vêtement vraiment personnel, identifié, intime, que l'on garde, c'est important. Cela me parle toujours. J'aime les finitions, la qualité. J'ai beaucoup de mal à admettre que l'on doive jeter un vêtement parce que la qualité ne suit pas. Pour vous, qu'est-ce qui prime dans la création ? Ce qui m'intéresse dans la création, c'est de suivre deux pistes : celle du volume et celle du style, de la silhouette. Les deux se rejoignent un peu. Je pense que tous les créateurs se posent la même question : qui privilégier entre Vionnet et Chanel ? Ce que l'histoire retient d'une collection, c'est soit le volume, soit le style. Dans ce cas, est-on condamné à choisir entre les deux, à n'être qu'aux yeux des gens, l'un ou l'autre ? C'est difficile Comment cette "philosophie" se traduit-elle dans votre travail ?
Je pense être résolument plus Vionnet ! Pour moi, la personne est beaucoup plus importante que le style. C'est peut-être pour cela que je me retrouve tellement dans le théâtre. Je peux me raccrocher à un texte. Le vêtement devient un support, il ne doit pas être trop parlant. Je crée pour le corps et c'est pour cela que le travail de volume est tellement important dans mon travail. Un vêtement voit le jour pour qu'il bouge avec le corps. J'aime travailler le vêtement sur une seule pièce et expérimenter les formes. Pour cette collection, j'ai beaucoup insisté sur le patronage et les finitions tout en restant dans des teintes sobres. Mon travail des formes passe aussi par les motifs. En 2004, j'avais mis au point des imprimés "jet d'encre", conçus par informatique. Ma position est qu'on n'est pas obligé d'avoir des modèles entièrement rebrodés pour avoir de la haute couture. La "nouvelle couture" passe par des choses fortes, qui font appel à la technique. Cette démarche n'était-elle pas trop "intellectualisée" pour une clientèle grand public ? Non, je pense avoir atteint un bon équilibre. J'ai un client au Koweit pour lequel je travaille beaucoup. Il est le premier à avoir acheté ma collection en 2001 et depuis 2 ou 3 ans, on s'intéresse plus particulièrement à lui. Je trouve cela très intéressant et en plus, cela me maintient dans des problématiques plus commerciales. Au final, cela m'a appris à travailler à la fois sur des choses spécifiquement réalisées pour mes clientes et sur des modèles plus personnels. Aujourd'hui, je souhaite retrouver des choses très asymétriques, plus intimes et différentes de la mode que je vois autour de moi. Avec le soutien d'un financier, n'êtes-vous pas vouée à verser dans une mode plus commerciale ?
Non, car j'ai eu la chance d'avoir le soutien de personnes qui sont à l'écoute et qui me laissent complètement libre car ils ont envie d'accompagner un jeune créateur. Je dispose d'une petite cagnotte de départ : elle servira à développer de nouvelles idées, asseoir ma société, la structuréer, reconstruire un peu l'atelier, régler des problèmes financiers en cours Une fois que tout cela sera nivelé, on fera deux ou trois collections et, si ça marche, on fera peut-être entrer un autre partenaire dans la société. Si le public n'est pas au rendez-vous, on n'ira pas au-delà. Par contre, je pense qu'ils attendent de moi que je donne un maximum et que je ne me sente surtout pas frustrée par des problèmes financiers. Ce qui leur importe, c'est que je dise ce que j'ai à dire. Justement qu'avez-vous à dire et comment vous projetez-vous dans l'avenir ? Avoir fait les Arts Déco n'est pas innocent dans ma démarche. Même si le vêtement reste pour moi, le support idéal pour exprimer mes envies, il y a d'autres domaines dans lesquels j'aimerais avoir voix au chapitre. Par exemple, il me semble important de continuer à présenter le vêtement sous forme d'installations. J'ai déjà fait deux ou trois expositions aux musée d'architecture de New York ou dans un centre de design de San Francisco pour y exposer le patron aux côtés de la robe. Au final, j'aimerais me positionner en tant que chercheuse du volume.
|