Interview
15/05/2007
Philippe Jeammet : "Accorder une confiance vigilante aux adolescents"
Pouvez-vous définir l'adolescence ? C'est la réponse de la société à un phénomène physiologique : la puberté, soit la transformation du corps rendue visible par l'apparition des caractères sexuels secondaires. Depuis tout temps et de nombreuses civilisations, ce passage est "ritualisé" et ce, de manière parfois violente : marquages corporels, épreuves physiques diverses... La période que recouvre l'adolescence s'allonge de plus en plus, du fait notamment de l'avancement de l'âge de la puberté (moins 3 ans en moyenne en un siècle !) mais aussi de la stimulation accrue des enfants par l'école, les médias, la mode. Aujourd'hui, elle concerne la tranche des 9-20 ans, en comptant ce qu'on appelle la "préadolescence" et en considérant l'entrée dans la vie professionnelle comme une porte vers l'âge adulte. Elle se caractérise par la coexistence de sentiments contradictoires. L'ado a besoin des autres pour grandir mais il souhaite dans le même temps s'affranchir de cette dépendance. Ainsi, il veut réussir ses projets professionnels mais sans se soumettre à l'autorité du système éducatif, s'assumer tout en profitant du cocon de la maison, vivre une relation amoureuse exclusive tout en se prouvant qu'il peut séduire le maximum de gens... La "crise d'adolescence" est-elle inévitable ? L'adolescence constitue toujours une crise, en ceci que l'individu quitte un état pour un autre de manière définitive. Mais on a tendance à confondre "crise" et "difficulté". Tous les adolescents n'adoptent pas une attitude de révolte face à ce changement de statut. Seulement 20 % sont véritablement bouleversés. Les autres vivent cette période plus ou moins sereinement en fonction de leur tempérament, de leur sensibilité. D'ailleurs, plus on avance dans l'Histoire, plus l'adolescence est "facile" à vivre puisqu'elle se produit tout en douceur. Les jeunes ne sont plus confrontés à des difficultés matérielles et des ruptures violentes comme avant avec la nécessité de trouver un travail à la majorité, l'impossibilité de rester à la charge de ses parents, l'obligation de se marier vite, etc. Cela n'est pas évident à constater car la plupart des parents, parallèlement à cette évolution, s'inquiètent de plus en plus, guidés par leurs exigences de réussite toujours plus fortes, et les difficultés des adolescents sont en conséquence montrées du doigt. D'autant que le cadre dont ils pouvaient souffrir a cédé, laissant la liberté mettre à l'épreuve leurs ressources et révéler leurs malaises profonds. Pourquoi les adolescents se mettent-ils parfois en danger ? Le corps devient le témoin des sentiments contradictoires typiques de l'adolescence. Il est le lègue des parents, le témoin de cette sensation de ne pas avoir choisi et de devoir pourtant s'affirmer en dehors de cette réalité. Si l'ado n'a pas une bonne image de lui-même, qu'il souffre d'un manque de confiance en lui, induit par un manque de confiance envers l'amour que lui porte ses parents, il s'attaque à ce corps par diverses voies : conduites à risques, scarification, anorexie... Cela lui donne l'impression de s'opposer à ses parents, de mieux s'appartenir. En cas de vécu traumatique, de comptes à régler, il préfère se faire du mal mais être sûr du résultat. Cela le rassure sur sa capacité à se maîtriser -même si le résultat est inconfortable- plutôt que d'affronter ses problématiques et de prendre le risque d'échouer. C'est la même démarche qui provoque en partie la spirale de l'échec scolaire. Un ado préférera pour se rassurer se sentir grand dans l'échec plutôt que d'essayer, au risque d'être déçu, d'être grand dans la réussite.
Quel est le rôle des parents durant cette période ? Je crois qu'il ne faut surtout pas céder à l'angoisse, cela risquerait de compliquer la situation, voire de provoquer des problèmes. L'adolescence est un phénomène normal qu'il ne faut pas essayer de prévenir comme on le ferait avec une maladie ! Le rôle des parents se situe bien en amont. Il consiste à donner aux enfants une bonne image d'eux-mêmes et suffisamment de confiance en eux. En somme des bagages solides qui leur permettent de se sentir à l'aise physiquement, scolairement et socialement. Quant aux risques qui émergent à cette période de leur vie et qui inquiètent les parents ; alcool, tabac, drogue, maladies sexuellement transmissibles, violences ; je conseille aux adultes de les aborder indirectement. En parlant d'un tiers, en commentant un film, un livre ou une émission de télévision sur le thème par exemple. Je pense qu'il faut éviter de prendre l'adolescent à partie. Cela pourrait être pris comme une intrusion ou une démonstration d'autorité à braver. Ne faut-il pas parfois savoir intervenir ? Si bien sûr ! J'appelle ça la "confiance vigilante". Elle consiste d'une part à ne pas étouffer l'ado et d'autre part à le surveiller. Les parents ont alors tout intérêt à intervenir s'ils constatent que leur ado ne se "nourrit" plus de ce dont il a besoin. C'est-à-dire ne s'alimente plus au sens propre du terme, n'apprend plus à l'école, ne s'épanouit plus dans des activités physiques ou culturelles, ne cherche ou ne trouve plus la compagnie des autres. La première arme pour combattre ce mal-être n'est autre que le dialogue. Il est naturel que l'enfant rencontre des problèmes et qu'il ait besoin de soutien. Alors, sans en faire un monde, tranquillement mais fermement, les parents peuvent intervenir pour ne pas que leur ado s'embourbe. Lui faire comprendre qu'il a de la valeur, qu'il doit prendre soin de lui, se respecter, affronter ses peurs, constituent autant de pistes pour désamorcer la situation. Si cela ne suffit pas, il faut faire appel à un tiers (le père si d'habitude il intervient peu, les grands-parents, un éducateur, un psychologue, un ami de la famille...) qui pourra, du fait de son recul et de sa place plus neutre dans l'univers de l'ado, trouver des solutions probantes. En effet, un ado dans l'insécurité ne supportera pas d'être aidé par les individus qui le rendent justement dépendant. Les parents trop impliqués dans ce combat intérieur ne peuvent pas tout résoudre. Lire aussi L'Interview de Maryse Vaillant et sa fille sur les relations mères-filles à l'adolescence
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