Interview 05/10/2007 "Je fantasme sur les chaussures de Dorothy, du Magicien d'Oz, depuis que j'ai 3 ans !"
Pouvez-vous revenir votre parcours ? J'ai commencé par faire des études dans le domaine du textile avant de me lancer dans le stylisme à l'école Duperré. J'ai enchaîné par des stages dans de plus ou moins grandes maisons : j'ai d'abord travaillé chez Jean-Paul Gaultier Studio, à la broderie, avant d'enchaîner chez Christian Lacroix puis Stella Cadente. J'ai eu la chance d'y être embauchée et y suis restée pendant 8 ans. A l'origine, ma formation n'a donc rien à voir avec la chaussure. Comment en êtes-vous arrivée à créer des souliers plutôt que du prêt-à-porter ?
Pourquoi avoir décidé de prendre le risque de créer votre propre marque plutôt que d'intégrer une maison déjà existante ? Je n'avais pas du tout le profil pour intégrer l'équipe d'un spécialiste de la chaussure ! Si j'étais arrivée dans une grande maison en leur disant que je voulais créer de la chaussure, je n'aurais jamais trouvé d'emploi ! D'ailleurs, je ne sais pas du tout où j'aurais pu m'adresser. En mode, je n'avais pas de marque de référence : j'ai toujours pioché à droite à gauche dans les différentes collections, sans jamais trouver de maison qui corresponde complètement à ce que je cherchais. Je me suis donc glissée dans un créneau plus simple : ce que j'avais envie de faire. Qu'est-ce qui a été le plus difficile dans la création de votre marque ?
Tout ! En réalité, le plus périlleux a été de trouver les personnes avec qui travailler au niveau de la fabrication. Je n'étais pas consciente de la difficulté que cela représentait dans le domaine de la chaussure. Dans le prêt-à-porter, on peut toujours se débrouiller soi-même ou sous-traiter à une couturière du coin. En chaussure, on ne peut pas bricoler. J'ai eu la chance de trouver des partenaires formidables à Elda en Espagne. Elda, c'est la ville de la chaussure par excellence : Maloles et Pedro Garcia y ont aussi leurs façonniers. Trouver les bons collaborateurs a vraiment été une étape laborieuse, mais à partir de là, tout est allé très vite. Le côté administratif et juridique a aussi été assez pénible : monter un dossier pour créer sa société était beaucoup plus difficile que je ne le pensais. Aujourd'hui, c'est le côté commercial qui me pèse le plus. Je travaille encore toute seule et j'aimerais vraiment m'en débarrasser au plus vite. Je n'ai vraiment pas ça dans le sang. Votre première collection est assez onirique et s'inspire notamment du Magicien d'Oz Pourquoi ce parti pris ? Pour moi, c'était une évidence. Ce que je voulais faire, c'est ce que je ne trouvais pas en tant que cliente, dans la chaussure haut de gamme : de la légèreté, un clin d'il plein d'humour, sans que le produit soit "cheap". Quant au Magicien d'Oz, cela vient de mes origines anglaises. Petite, je passais tous mes Noël en Angleterre et chaque année, le Magicien d'Oz était diffusé à la télévision. Du coup, je fantasme sur les chaussures de Dorothy depuis que j'ai 3 ans. J'ai bien essayé de m'en fabriquer, arrivée à l'âge de 15 ans, en collant des paillettes sur mes souliers mais cela a toujours été un désastre. J'ai assouvi ce fantasme dès que j'en ai eu la possibilité. Mais ce n'est pas un parti pris : je ne veux pas me contenter des belles histoires et fabriquer des chaussures de petites filles pour femmes. Par contre, il y a plein de choses de l'univers de l'enfance qu'il me paraît intéressant d'intégrer dans mes collections. Je voulais aussi faire un vrai travail sur les formes, qu'elles soient simples et bien étudiées, en termes de confort et d'aspect visuel. J'ai toujours trouvé qu'il était difficile de trouver des beaux escarpins tout bêtes. Les formes simples, ça c'est un parti pris dans ma collection. En créant une collection très fantaisie et haute en couleurs, n'aviez-vous pas peur de proposer une offre trop ciblée, qui interpellent peu de clientes ? Quand j'ai réalisé ma collection, je n'avais qu'une chose en tête : il fallait que je réalise ce qui n'existait pas encore. Je me rends compte maintenant, et après l'accueil de certaines personnes, que c'était risqué. Cette collection est comme toutes les choses très personnelles en mode : soit on aime, soit on déteste. Certaines personnes comprennent tout de suite, d'autres sont totalement hermétiques. Comment se positionne-t-on aujourd'hui sur un marché de la chaussure de plus en plus concurrentiel ? Comment vous en sortez-vous ?
Je ne peux malheureusement pas encore vous répondre. J'espère réussir en occupant un créneau de niche. Mais il est vrai que l'accueil n'a pas été aussi bon que je l'espérait chez les chausseurs que j'ai démarchés : certains ne comprennent pas ma démarche, d'autres trouvent qu'il n'y a rien de nouveau dans mon travail des formes, qu'ils trouvent trop simples. Par contre, les espaces multimarques de mode sont beaucoup plus ouverts. Ce sont des gens qui travaillent avec des marques proches de la mienne et la collection a tout de suite marchée. Il est vrai que la clientèle vient plus spontanément Quel bilan dressez-vous de cette première collection ? Je n'ai pas encore eu de retour de tous les points de vente mais j'ai pris des nouvelles Ce qui marche actuellement le mieux, c'est la couleur. A ma petite échelle, mon best-seller est la boots en daim métallisé rouge, rose ou bleu. C'est une belle surprise car au départ, c'est un modèle qui m'a été très peu demandé par les grossistes. En le commandant aux usines, j'ai donc dû prendre un gros risque, celui de ne pas placer toutes ces chaussures. Au final et vu leur succès, je suis contente de ma décision. Côté couleurs, les filles flashent d'abord sur les boots fuchsia, mais se rabattent plutôt sur la bleue. Quant à mes modèles noirs, beaucoup plus classiques, ils ont moins de succès. Cela me rassure et me pousse à continuer dans le sens que j'ai choisi ! Si vous pouviez vous projeter dans 10 ans : vous verriez-vous plutôt en Bruno Frisoni, en Charles Jourdan ou en Pierre Hardy ? Aucun d'entre eux ! Ces hommes créent de très belles choses mais pensent leurs chaussures pour des femmes fantasmées. Je me sens à l'opposé d'un Bruno Frisoni ou d'un Pierre Hardy ! Je suis une fille qui crée pour les filles, mon but est de faire des chaussures qu'on puisse porter toute la journée, sans mourir au bout de deux heures. Du coup, je me sens plus proche de Karine Arabian. J'admire sa démarche : elle a réussi à faire des chaussures portables et à créer sa niche. Aujourd'hui, quels sont vos projets ?
J'ai plutôt des buts à accomplir que des projets. Je voudrais d'abord développer mon réseau de commercialisation et être vendue dans les grands magasins français, même si aujourd'hui, c'est la croix et la bannière. En France, on ne se sent pas très soutenu au niveau créatif. En Italie ou en Grande-Bretagne, les gens sont fiers de leurs créateurs, de leur savoir-faire. Je ne m'attendais pas à être accueillie sur un lit de roses, mais je suis un peu déçue que les professionnels ne soient pas plus curieux des nouvelles marques qui se créent. Je souhaite aussi développer l'export et si ça marche, étoffer la collection. Dans un futur plus lointain, j'aimerais aussi ouvrir ma propre boutique. Cela me permettrait de créer mon propre univers. J'adorerais aussi faire des collaborations avec des marques existantes comme Repetto ou l'enseigne pour enfants Star Trek, par exemple Je suis sûre qu'il y a plein de choses super à faire avec eux pour les adultes, mais je n'ai pas encore le bagout pour leur proposer.
En savoir plus le site d'Annabel Winship : www.annabelwinship.com Et toujours 10 bottines pour l'hiver
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